Édito 2025-26

Dans ce théâtre sous les arbres, au bord de la ville, il y a une troupe et une équipe qui cheminent ensemble, traversent des joies et des épreuves, s’efforcent de maintenir le cap vers l’inconnu, de garder les portes grandes ouvertes aux artistes et au public. Parce qu’il arrive, dans les périodes où s’accélèrent certaines offensives — quand par exemple l’étau sécuritaire se resserre sur les sociétés, quand les guerres impérialistes détruisent les peuples, quand les cordons de la Bourse étranglent les services publics — qu’on ait besoin, ardemment et collectivement, de reprendre souffle.

On ne pense pas seulement ici au grand souffle de l’Histoire qui emporte régulièrement les empires et ouvre de nouveaux horizons à la justice. On pense aussi, plus modestement, au souffle fragile d’une respiration qui permet de reprendre ses forces et ses esprits, de penser et d’agir, d’échapper à la sidération qu’on veut nous imposer.

Un souffle possiblement léger, ténu, mais obstiné.
Un appel d’air.

C’est peut-être là une des fonctions de l’art, quand ses œuvres ne cèdent pas à l’urgence et au gigantisme spectaculaire, quand elles se donnent précisément un autre but que de nous couper le souffle, et accessoirement le sifflet. Quand, au contraire, elles nous laissent de l’air et du temps pour recomposer de nouvelles possibilités.

C’est peut-être là une des fonctions du théâtre, de proposer un espace de rassemblement où l’on ne soit pas tenu de respirer à l’unisson, ni pour hurler avec les loups, ni pour se lamenter avec les agneaux, mais pour regagner une distance où se souffler à soi-même de secrètes pensées et d’étranges sentiments, pour éprouver et mesurer parmi ses contemporains les rouages des passions collectives.

Au moment de composer cette saison, selon le même principe que les précédentes — une équipe artistique invitée chaque mois sur un temps long — nous nous sommes aperçus que de nombreuses pièces tressaient un singulier rapport entre l’amour et la guerre. Signe des temps dans l’Europe contemporaine ? Pas sûr, puisque Shakespeare, Heiner Müller et William Faulkner y côtoient Céline Champinot, Chrystèle Khodr, Bashar Murkus, Jon Fosse, Davide Carnevali et Nicolas Doutey… Pas sûr, puisque certaines de ces œuvres sont nées ici, tout près, et que d’autres ont été créées sur l’autre rive de la Méditerranée…

Il faut croire qu’il y a là une question profonde qui tient à l’existence même du théâtre, à sa façon de nouer ensemble les échelles de grandeur, de relier les pulsations du cœur aux fracas de l’Histoire, de faire se percuter les lieux et les époques. Sa façon à lui d’élargir notre souffle.

Nous essaierons donc, cette saison encore, de participer à cet élargissement.

En accueillant des artistes du pourtour méditerranéen, pour la 3e édition de la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée, pensée, rêvée, construite avec une quinzaine de partenaires culturels à Montpellier et à l’entour, pour ouvrir les toits et les bras, en ces temps de replis nationaux.

En invitant tout au long de la saison des artistes à habiter le théâtre et à y présenter plusieurs œuvres, certains pour la première fois (Matthias Langhoff et Marcial Di Fonzo Bo, Cédric Gourmelon), d’autres de retour avec leurs nouvelles créations (Séverine Chavrier, Françoise Bloch, Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou) ; en produisant les créations de metteur·euse·s en scène et d’auteur·ice·s contemporain·e·s (Adrien Béal, Céline Champinot, Chrystèle Khodr, Marion Aubert, Nicola Borghesi et Enrico Baraldi, Nicolas Heredia et Le Groupe O) ; en accompagnant de plus jeunes artistes (Elsa Agnès) dans le cadre du dispositif Seconde ! ; en ouvrant le lieu aux équipes de la région dans le cadre du Studio libre.

En proposant de nombreux ateliers pour les amateur·ice·s (dont la Troupe Amateur et la Création Étudiante), des stages et des formations pour les professionnel·le·s ; en invitant régulièrement des penseurs et des penseuses à venir nous rencontrer lors des journées Qui Vive ! ; en partageant des scènes ouvertes avec des poètes et poétesses
d’aujourd’hui au fil des soirées Poésie !

Le tout à partir de ce théâtre, que nous pensons comme une maison d’art et d’essais, habitée par les artistes et par le public, ouverte à la pensée et à la discussion, aux étrangetés et aux étrangers, à celles et ceux qui, proches ou lointains, ont besoin d’air.