« L’art, c’est l’enfance, voilà. L’art, c’est ne pas savoir que le monde existe déjà, et en faire un. Non pas détruire ce qu’on trouve, mais simplement ne rien trouver d’achevé. Rien que des possibilités. Rien que des désirs. Et tout d’un coup être accomplissement, être un été, avoir du soleil. Sans en parler, involontairement. Ne jamais parfaire. Ne jamais avoir de septième jour. Ne jamais voir que tout cela est bon. L’insatisfaction est la jeunesse. » R.M. Rilke
Le réalisme nous dit ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pouvons pas. Sa boussole est le monde tel qu’il est, tel qu’il va. Il en détient les clefs, en édicte les règles, les usages, et récite les moyens d’en profiter. Mais une certaine jeunesse, et un certain art ne s’en satisfont pas. Non par « déni de réalité », mais parce qu’ils sentent que toute réalité est une construction limitée, appartenant aux vendeurs de boussoles, que ses plafonds sont bas, ses horizons étroits, et ses soleils tièdes. Ni cette réalité ni ce monde ne leur suffisent. Qui peut croire que s’exprime là une soif de « nouveauté » que viendra domestiquer le dernier ersatz du dernier cri ? Cette soif est plus essentielle : elle crie doucement que rien de ce qui nous entoure n’est parfaitement achevé, que rien ne saurait rassasier nos désirs, que ce qui nous semble le plus évident est à refaire, sans trêve et sans délai.
La réalité du jour est pressée et nous met la pression : accélération consumériste, précarisation des métiers, marchandisation numérique des regards, le tout sur fond de destruction écologique. Le théâtre n’y échappe pas. Mais depuis cinq ans, nous tâchons de donner forme à une hypothèse : le temps long, arraché de haute lutte au rythme général, produit des effets durables.
Il transforme les rapports entre les artistes et les publics, autorise une hospitalité curieuse de l’expérience et de la recherche, desserre l’étau des heures, invite à partager une autre réalité, à arpenter des chemins inconnus : ceux que les artistes empruntent et tordent, ceux qui se découvrent au hasard de la rencontre avec une œuvre ou une pensée, ceux qui s’ouvrent dans les premiers pas incertains accomplis sur un plateau. Dans une langue ancienne, il parait qu’« inviter » signifiait « créer du temps ».
Depuis cinq ans, cette tentative existe grâce à celles et ceux qui viennent y prendre et y donner des forces : artistes, chercheur·euse·s, publics, jeunesse d’ici et d’ailleurs, toujours plus nombreuse. Cette fréquentation, cette confiance poussent à ne nous satisfaire de rien, à avancer un pas plus loin.
Cette saison, nous présenterons trois créations d’artistes de l’Ensemble Associé : Céline Champinot, Jonathan Capdevielle et Marion Aubert ; trois créations d’artistes étrangers coproduites par les 13 vents : Emma Dante, Chrystèle Khodr, Bashar Murkus ; dix des dix-sept pièces présentées seront des créations répétées, produites ou coproduites aux 13 vents ; six des huit mois de la saison seront consacrés à une seule équipe artistique qui présentera une ou plusieurs pièces.
Ces chiffres traduisent l’idée d’un théâtre public que nous voulons affirmer : de longues sessions de répétitions et de représentations ; des outils de création et des métiers mis au service des équipes artistiques comme du public ; des temps de rencontre, par la pratique partagée en ateliers, par le dialogue et les discussions engagées avec le public tout au long de l’année.
Cette saison, nous ouvrirons davantage encore les ateliers pour amateur·ice·s et les stages de formation pour les professionnel·le·s, convaincus que la connaissance et la pensée d’un art s’aiguisent par la pratique.
Cette saison, nous inviterons régulièrement des penseurs et des penseuses à nous rejoindre, grand·e·s invité·e·s des journées Qui Vive ! remodelées, nous continuerons à découvrir les poètes et poétesses d’aujourd’hui avec les soirées Poésie ! et nous lancerons avec les Éditions Théâtrales une collection, baptisée Méthodes, qui donnera la parole aux travailleurs et travailleuses de l’art, pour rouvrir un espace critique.
Cette saison, nous porterons la 2e édition de la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée, avec quinze partenaires culturels à Montpellier et à l’entour, pour partager, en ces temps de replis nationaux, les enjeux artistiques et politiques qui nous occupent. Naîtra là, entre autres choses, une école éphémère réunissant des spectateur·ice·s, travailleur·euse·s, retraité·e·s et étudiant·e·s de Montpellier, Madrid, Beyrouth, Athènes…
Une hypothèse de théâtre : une maison d’art et d’essais, fréquentée par les artistes et le public, habitée par une troupe, ouverte à la pensée et à la dispute, aux étrangetés et aux étrangers, aux voisins qui, proches ou lointains, insatisfaits comme la jeunesse, veulent mettre la main à la pâte…
Bienvenue à toutes et tous.