Nous allons donc, encore, faire du théâtre. Nous allons donc, encore, nous réunir comme aux grottes ancestrales, frotter des actes à des paroles, des gestes à des pensées, de la matière à des idées, et observer la formation des flammes. Nous allons donc, encore, faire leur place aux morts, aux batailles et aux artifices.
Il reste peu de lieux, dans le monde qu’on nous assène plan après plan, dont la fonction centrale soit d’abriter la part obscure, archaïque, ambiguë, négative, inconsciente de l’humanité, d’articuler des désirs aux issues incertaines sans lesquels l’existence se réduirait à la gestion des ressources, des biens et des services, suivant les règles édictées par les maîtres du moment.
C’est pourquoi, à l’heure où résonnent dans les théâtres les promesses de retrouvailles, au milieu des klaxons qui célèbrent la reprise de l’activité, on rappellera ici les luttes en cours, patientes et obstinées, dans un début de siècle où les états d’urgence semblent se passer le témoin, comme le néolibéralisme au néofascisme, et l’on se souviendra aussi des morts, singulièrement absents du bombardement d’images qui colonisent jour et nuit nos désirs. Il n’y a là nul devoir de mémoire, mais une nécessité de réactiver pleinement, férocement et joyeusement notre Histoire, car quoi de plus sinistre que le passage compulsif et obligatoire à «autre chose», nous la garantissant à peu près semblable à la précédente.
Ici, aux 13 vents, l’année que nous venons de passer, portes fermées au public, a renforcé nos convictions : nous avons pu, parce que nous avons choisi depuis trois ans d’accueillir les équipes artistiques sur de longues périodes, faire en sorte que le travail se poursuive pour chacune d’entre elles, selon leur nécessité, qu’elles habitent le théâtre avec le temps et les moyens qui étaient prévus. Nous avons pu, dans le dialogue continu avec les artistes, avec les spectateurs de l’Association des 13 vents, avec les jeunes gens qui ont occupé le théâtre, partager la situation, ses périls, ses orientations possibles, et préparer les prochaines saisons, au plus près des temporalités de la création qui sont autres que celles du marché. Nous avons aussi appris que l’expérience qui se conduit ici, allait être reconduite pour trois ans, à partir de janvier 2022, nous en sommes heureux et reconnaissants.
La saison que vous allez découvrir dans les pages suivantes doit beaucoup aux dialogues et à la socialité collective qui est restée vivace en cette période suspendue. Vous y retrouverez certaines pièces ou manifestations prévues la saison dernière, comme la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée, portée à nouveau par un cercle élargi de partenaires sur le territoire, et l’ensemble des rendez-vous réguliers : Qui vive!, Poésie!, Itinérance, ainsi que le programme d’ateliers, mensuels ou ponctuels, ouvert aux professionnels et aux amateurs.
Enfin, à l’aube de cette nouvelle saison et de ce nouveau mandat à la direction des 13 vents, nous voulons remercier les artistes et chercheurs qui ont accepté de rejoindre l’Ensemble Associé, pour penser la situation de notre art et orienter les questions qui se posent aujourd’hui aux institutions théâtrales : Céline Champinot (autrice, metteuse en scène), Bruno Geslin (metteur en scène), Maguy Marin (chorégraphe), Françoise Bloch (metteuse en scène, pédagogue), Olivier Neveux (enseignant, chercheur), Marion Aubert (autrice), Daniel Jeanneteau (scénographe, metteur en scène) et Jonathan Capdevielle (acteur, metteur en scène).
«Encore». C’est par ce mot de passe, ambigu comme le désir, que nous nous étions promis de rouvrir les portes du théâtre. Elles le sont, et seront sans doute désormais plus difficiles à refermer. Bienvenue à toutes et tous.