On raconte que, seul, dans sa maison de campagne à la fin du XXe siècle, un cinéaste britannique de cinquante ans, bientôt aveugle et mourant du sida, entreprit de réécrire sa vie en une méditation sur les couleurs : images d’enfance, de jeunesse, falaises blanches, quartiers rouges, fleurs cultivées, souvenirs de lectures ramassés en bouquet. Bruno Geslin, dans son théâtre, orchestre la douce et drôle acuité de Derek Jarman. Acteurs, sons, lumières apparaissent, disparaissent, laissant la perception comme intacte sous les visions, toujours au travail, vive, comme on dit d’une couleur.

Bruno Geslin

J’ai souvent pensé que les choses les plus constitutives, les plus essentielles de mon existence étaient toutes nées d’un malentendu. Je me suis construit dans le désordre le plus total. Aucun plan, aucune stratégie. Chaque pierre biscornue venait s’ajouter à la précédente dans la joie absolue d’un bordel à venir. Aucun mur digne de ce nom ne peut tenir bien longtemps dans de telles circonstances. J’ai mis des années à comprendre que ce qui semblait un aveu d’échec relevait plus d’une hygiène de vie, voire d’une philosophie, et que cette pratique assidue de l’impermanence était avant tout une promesse faite au paysage.

Bruno Geslin